Cette contribution profite d'une expérience d'échantillonnage, de catalogage et de description des bâtiments du XXe siècle dans les provinces de la Vénétie, un travail mené pour la Surintendance au Patrimoine de la région et achevé, dans une première phase, en suivant le protocole de l'Institut Central italien pour le Catalogue et la Documentation. Cet inventaire de cas a évolué vers la forme d'atlas d'exemplaires1, mais en se limitant à l'objet édifié, sans comprendre une analyse complète de l’évolution de la topographie urbaine. Donc l'enjeu de ce travail tient au fait que les choix de catalogage ont présupposé une théorie des rôles que les architectures jouent dans la continuité-discontinuité de la morphologie urbaine et dans certains phénomènes qui leur sont corrélés. Le simple fait que l'échantillonnage a été limité à 150 cas et que les textes des 'rapports historiques' annexés à chaque dossier du catalogue (selon le protocole de l'ICCD) doivent objectiver le choix de l'exemplaire – 'de quoi' l'exemplaire serait exemplaire – obligeait évidemment à prendre parti entre des critères de valorisation. On ne pouvait pas se débarrasser de cette tâche institutionnelle en faisant appel seulement à l'autorité d'un relevé bibliographique des ouvrages qui, d’une manière ou d’une autre, concernent quelques édifices du siècle passé dans les provinces de la Vénétie. L’épluchage préliminaire des périodiques italiens d'architecture du XXe siècle et le dépouillement des rares pages des monographies historiques et critiques dédiées directement ou indirectement aux ouvrages d'auteur ou à quelques séries thématiques (archéologie industrielle, logements sociaux, monuments militaires, églises, infrastructures…) ne portent que sur une centaine de cas. Bien que cette bibliographie se révèle (après) nécessaire à la reconstruction de la fortune critique de quelques exemples ou série d’exemples architecturaux, évidemment le patrimoine bâti n'est pas la collection des étiquettes historiographiques collées sur quelques exemplaires. Cela est encore loin de permettre de décrire le rôle que les quelques cas 'héroïques' (auteurs et œuvres) ont joué dans l’habitat concret bâti dans un siècle qui a bâti plus que durant toutes les époques passées réunies. Les instituions qui régissent aujourd’hui la sauvegarde du patrimoine architectural, urbain et paysager d'un territoire déterminé le considèrent comme une sorte de « pays » entièrement pris en compte comme une œuvre d'art unique (archéologique et contemporaine en même temps) engendrée (comme la Langue même) dans la longue durée du temps historique et anthropologique, réalisée par une sorte d'auteur collectif. Ces instituons, qui administrent une économie de la persistance matérielle des traces culturelles, ne peuvent définir le 'patrimoine' qu'à travers une construction de la mémoire visible d'un lieu ; pour cela elles s’efforcent de mettre en relation, d'un côté, des pratiques historiographiques, géographiques, documentaires, muséographiques... et, de l’autre côté, des pratiques d’aménagement direct de la ville. Pour exemple, la naissance d'une certaine pratique de l'histoire urbaine par Marcel Poëte2 a cherché de répondre à cette demande institutionnelle, en superposant un côté philologique (rétrospectif) et un côté opérationnel (perspectif), en supposant une continuité synchronique du corps de la ville. La plupart des apports de l'analyse urbaine théorisée par les architectes regardent généralement le corps du paysage à travers une similitude anatomique (cellule-tissu-organe-fonction) au sens morphologique : de la topographie à la topologie. Dans notre cas il a bien fallu considérer des ouvrages marquants tels que Il territorio dell'architettura3 et L'architettura della città4 qui ont – à partir de leurs titres – métaphoriquement renversé les rapports d’échelle entre architecture et urbanisme en employant le mot 'architecture' comme synonyme de 'morphologie' référée à toutes les échelles jusqu’à la structure formelle du paysage. D'une part, ces ouvrages ont hérité des acquis de l’école vénitienne – remontante jusqu’à Saverio Muratori5– d’analyse de la ville historique en termes de continuité du tissu urbain et discontinuité dialectique des monuments6: une forme d'analyse qui décrivait et différenciait l’ensemble d'un tissu urbain à travers la concomitance entre 'type d'établissement' de chaque bâtiment dans sa parcelle (ex. types ‘à cour’, en longueur, en rangée...) et la forme du morceau de la ville (ex. blocs à lotissement gothique, à îlots réguliers, hameau-rangée, à îlots ouverts, dispersé ou groupé…). D'autre part, l'ouvrage de Rossi a cherché à corréler de façon plus significative l'analyse typo-morphologique pratiquée par les architectes, à l'histoire et la géographie urbaine (et régionale), en suivant de grands pionniers français : avant tout Marcel Poëte, et les géographes Jean Brunhes et Albert Demangeon. Penser la ville d'une façon plus large, tout en focalisant la réflexion sur la typologie architecturale et l'évolution de la topographie, se révèle encore très fertile, mais difficile à maîtriser pour les villes actuelles. La cohérence typologique associée à la schématisation morphologique, à première vue, se prête mieux à décrire la continuité de la ville dans la longue durée de la cité 'pré' et 'proto-industrielle', la cité bâtie par des populations installées dans leur lieu originaire, génération après génération, à travers des technologies traditionnelles, en adhérence à la contrainte de l'espace géo-hydrographique des ressources naturelles, en produisant une gamme étroite de genres distincts de bâtiments, d'infrastructures et de monuments. En effet La città di Padova7– l'ouvrage le plus emblématique de l'analyse urbaine pratiquée à l'Institut Universitaire d'Architecture de Venise – arrête son examen morphologique de Padoue au XIXe siècle, en considérant que la ville du XXe siècle n’est plus intelligible avec les mêmes outils. La difficulté dépendait du fait que ce type d'analyse valorisât la cohérence typo-morphologique (au désavantage de la discontinuité) du tissu et exclût, comme non pertinentes à son niveau d’abstraction, toutes questions liées aux genres stylistiques et aux genres d'usage des édifices et des infrastructures. Cette méthode typologique écartait toutes questions de langage et de qualité de la perception spatiale de la ville ; elle ne tenait pas beaucoup compte du caractère profondément bricoleur, polystylistique et polyglotte de la ville historique. Bien que souvent la forme de la cité historique apparaisse conforme aux contraintes géomorphologiques du lieu, elle est généralement bien plus complexe et anisotrope que la ville d’aujourd’hui, surtout si nous regardons les aspects atopiques (globalisants) de la ville de nos jours qui réduisent la plupart des cités métropolitaines de la planète à de banales collections d’objets architecturaux qui – conçus comme produits de design, de marque, de griffe – s'en foutent d'une quelconque 'architecture de la ville' liée à une spécificité locale. Il est donc évident que l'analyse urbaine poursuivie par Muratori, Maretto, Trincanato, Caniggia, Aymonino, Rossi, Panella, Lena, Lovero, Fabbri, Semerani... a surtout été l'expression des recherches d'un projet (rétrospectif) de « l’architecture de la cité » en opposition aux dérives de la ville capitaliste. Pour comprendre les formes de continuité-discontinuité de la ville envisagées par ces architectes-théoriciens il faudrait considérer leurs réalisations professionnelles et examiner en quelle façon leurs abstractions typologiques et leur emploi opérationnel de l'histoire se sont incorporés dans les normes urbanistiques italiennes actuellement en vigueur. Mais il suffit ici de noter que cette période de l'analyse typo-morphologique des années '60 et '70 à l’Institut Universitaire d'Architecture de Venise fut dépassée par l'avènement de la microhistoire à travers, en particulier, l’enseignement de Manfredo Tafuri. Et le point de vue de l'histoire matérielle de la ville (réintroduit par les microhistoires) a donné un modèle différent de continuité-discontinuité, où l'espace de la ville est lu comme disputé et négocié par des acteurs divergents. Considéré comme un espace de tensions – semblable à l'image d'un archipel – la complexité lisible dans la cité historique peut ainsi nous aider à maîtriser la morphologie de nôtre actuel archipel métropolitain.

Continuités‐discontinuités des genres architecturaux et de la forme urbaine : un modèle pour les villes de la Vénétie au XXe siècle.

GAY, FABRIZIO
2015-01-01

Abstract

Cette contribution profite d'une expérience d'échantillonnage, de catalogage et de description des bâtiments du XXe siècle dans les provinces de la Vénétie, un travail mené pour la Surintendance au Patrimoine de la région et achevé, dans une première phase, en suivant le protocole de l'Institut Central italien pour le Catalogue et la Documentation. Cet inventaire de cas a évolué vers la forme d'atlas d'exemplaires1, mais en se limitant à l'objet édifié, sans comprendre une analyse complète de l’évolution de la topographie urbaine. Donc l'enjeu de ce travail tient au fait que les choix de catalogage ont présupposé une théorie des rôles que les architectures jouent dans la continuité-discontinuité de la morphologie urbaine et dans certains phénomènes qui leur sont corrélés. Le simple fait que l'échantillonnage a été limité à 150 cas et que les textes des 'rapports historiques' annexés à chaque dossier du catalogue (selon le protocole de l'ICCD) doivent objectiver le choix de l'exemplaire – 'de quoi' l'exemplaire serait exemplaire – obligeait évidemment à prendre parti entre des critères de valorisation. On ne pouvait pas se débarrasser de cette tâche institutionnelle en faisant appel seulement à l'autorité d'un relevé bibliographique des ouvrages qui, d’une manière ou d’une autre, concernent quelques édifices du siècle passé dans les provinces de la Vénétie. L’épluchage préliminaire des périodiques italiens d'architecture du XXe siècle et le dépouillement des rares pages des monographies historiques et critiques dédiées directement ou indirectement aux ouvrages d'auteur ou à quelques séries thématiques (archéologie industrielle, logements sociaux, monuments militaires, églises, infrastructures…) ne portent que sur une centaine de cas. Bien que cette bibliographie se révèle (après) nécessaire à la reconstruction de la fortune critique de quelques exemples ou série d’exemples architecturaux, évidemment le patrimoine bâti n'est pas la collection des étiquettes historiographiques collées sur quelques exemplaires. Cela est encore loin de permettre de décrire le rôle que les quelques cas 'héroïques' (auteurs et œuvres) ont joué dans l’habitat concret bâti dans un siècle qui a bâti plus que durant toutes les époques passées réunies. Les instituions qui régissent aujourd’hui la sauvegarde du patrimoine architectural, urbain et paysager d'un territoire déterminé le considèrent comme une sorte de « pays » entièrement pris en compte comme une œuvre d'art unique (archéologique et contemporaine en même temps) engendrée (comme la Langue même) dans la longue durée du temps historique et anthropologique, réalisée par une sorte d'auteur collectif. Ces instituons, qui administrent une économie de la persistance matérielle des traces culturelles, ne peuvent définir le 'patrimoine' qu'à travers une construction de la mémoire visible d'un lieu ; pour cela elles s’efforcent de mettre en relation, d'un côté, des pratiques historiographiques, géographiques, documentaires, muséographiques... et, de l’autre côté, des pratiques d’aménagement direct de la ville. Pour exemple, la naissance d'une certaine pratique de l'histoire urbaine par Marcel Poëte2 a cherché de répondre à cette demande institutionnelle, en superposant un côté philologique (rétrospectif) et un côté opérationnel (perspectif), en supposant une continuité synchronique du corps de la ville. La plupart des apports de l'analyse urbaine théorisée par les architectes regardent généralement le corps du paysage à travers une similitude anatomique (cellule-tissu-organe-fonction) au sens morphologique : de la topographie à la topologie. Dans notre cas il a bien fallu considérer des ouvrages marquants tels que Il territorio dell'architettura3 et L'architettura della città4 qui ont – à partir de leurs titres – métaphoriquement renversé les rapports d’échelle entre architecture et urbanisme en employant le mot 'architecture' comme synonyme de 'morphologie' référée à toutes les échelles jusqu’à la structure formelle du paysage. D'une part, ces ouvrages ont hérité des acquis de l’école vénitienne – remontante jusqu’à Saverio Muratori5– d’analyse de la ville historique en termes de continuité du tissu urbain et discontinuité dialectique des monuments6: une forme d'analyse qui décrivait et différenciait l’ensemble d'un tissu urbain à travers la concomitance entre 'type d'établissement' de chaque bâtiment dans sa parcelle (ex. types ‘à cour’, en longueur, en rangée...) et la forme du morceau de la ville (ex. blocs à lotissement gothique, à îlots réguliers, hameau-rangée, à îlots ouverts, dispersé ou groupé…). D'autre part, l'ouvrage de Rossi a cherché à corréler de façon plus significative l'analyse typo-morphologique pratiquée par les architectes, à l'histoire et la géographie urbaine (et régionale), en suivant de grands pionniers français : avant tout Marcel Poëte, et les géographes Jean Brunhes et Albert Demangeon. Penser la ville d'une façon plus large, tout en focalisant la réflexion sur la typologie architecturale et l'évolution de la topographie, se révèle encore très fertile, mais difficile à maîtriser pour les villes actuelles. La cohérence typologique associée à la schématisation morphologique, à première vue, se prête mieux à décrire la continuité de la ville dans la longue durée de la cité 'pré' et 'proto-industrielle', la cité bâtie par des populations installées dans leur lieu originaire, génération après génération, à travers des technologies traditionnelles, en adhérence à la contrainte de l'espace géo-hydrographique des ressources naturelles, en produisant une gamme étroite de genres distincts de bâtiments, d'infrastructures et de monuments. En effet La città di Padova7– l'ouvrage le plus emblématique de l'analyse urbaine pratiquée à l'Institut Universitaire d'Architecture de Venise – arrête son examen morphologique de Padoue au XIXe siècle, en considérant que la ville du XXe siècle n’est plus intelligible avec les mêmes outils. La difficulté dépendait du fait que ce type d'analyse valorisât la cohérence typo-morphologique (au désavantage de la discontinuité) du tissu et exclût, comme non pertinentes à son niveau d’abstraction, toutes questions liées aux genres stylistiques et aux genres d'usage des édifices et des infrastructures. Cette méthode typologique écartait toutes questions de langage et de qualité de la perception spatiale de la ville ; elle ne tenait pas beaucoup compte du caractère profondément bricoleur, polystylistique et polyglotte de la ville historique. Bien que souvent la forme de la cité historique apparaisse conforme aux contraintes géomorphologiques du lieu, elle est généralement bien plus complexe et anisotrope que la ville d’aujourd’hui, surtout si nous regardons les aspects atopiques (globalisants) de la ville de nos jours qui réduisent la plupart des cités métropolitaines de la planète à de banales collections d’objets architecturaux qui – conçus comme produits de design, de marque, de griffe – s'en foutent d'une quelconque 'architecture de la ville' liée à une spécificité locale. Il est donc évident que l'analyse urbaine poursuivie par Muratori, Maretto, Trincanato, Caniggia, Aymonino, Rossi, Panella, Lena, Lovero, Fabbri, Semerani... a surtout été l'expression des recherches d'un projet (rétrospectif) de « l’architecture de la cité » en opposition aux dérives de la ville capitaliste. Pour comprendre les formes de continuité-discontinuité de la ville envisagées par ces architectes-théoriciens il faudrait considérer leurs réalisations professionnelles et examiner en quelle façon leurs abstractions typologiques et leur emploi opérationnel de l'histoire se sont incorporés dans les normes urbanistiques italiennes actuellement en vigueur. Mais il suffit ici de noter que cette période de l'analyse typo-morphologique des années '60 et '70 à l’Institut Universitaire d'Architecture de Venise fut dépassée par l'avènement de la microhistoire à travers, en particulier, l’enseignement de Manfredo Tafuri. Et le point de vue de l'histoire matérielle de la ville (réintroduit par les microhistoires) a donné un modèle différent de continuité-discontinuité, où l'espace de la ville est lu comme disputé et négocié par des acteurs divergents. Considéré comme un espace de tensions – semblable à l'image d'un archipel – la complexité lisible dans la cité historique peut ainsi nous aider à maîtriser la morphologie de nôtre actuel archipel métropolitain.
2015
0246-5612
9782111381506
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